Les animaux ne sont pas comestibles [Martin Page]

"Le véritable test moral de l'humanité (le plus radical, qui se situe à un niveau si profond qu'il échappe à notre regard), ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci: les animaux. Et c'est ici que s'est produite la faillite fondamentale de l'homme, si fondamentale que toutes les autres en découlent." Milan Kundera
Martin Page est un peu mon auteur Totem. Tu sais, cet auteur ou cette autrice qui t'enlève les mots de la bouche, ou plutôt te les emprunte pour leur donner un sens et une magie incroyable. Je l'ai découvert il y a peu par le biais d'un article paru dans la (formidable) revue BALLAST * (lis cet article aussi pendant que tu y es), puis par son blog. J'avais commencé à noter sur un carnet le titre ce livre, pour l'ajouter à ma liste de livres à lire et puis tout s'est enchaîné, je me suis retrouvée avec une dizaine de ses livres notés sur ma liste. Depuis, c'est à chaque fois une petite fête dans ma tête quand je tombe sur l'un d'eux en librairie.
Je viens donc de finir "Les animaux ne sont pas comestibles". Martin Page est végane et il raconte son parcours vers le véganisme, son quotidien de végane, les questions que posent l'exploitation animale, la place des véganes dans la société, les résistances et les attaques qu'ils-elles essuient,  les réactions que l'antispécisme engendre de toutes parts et les espoirs d'une fin de la spirale de la violence. 

J'ai lu des dizaines de livres sur le véganisme. Aucun de cette puissance. Il est constitué comme une sorte de dialogue entre l'auteur et tous-tes celles et ceux qui pourraient l'écouter. Il s'appuie énormément sur des récits de personnes qu'il a pu rencontrer, véganes ou non, pour rendre sensible son questionnement et permettre à tous et tous-tes de toucher du doigt la portée politique de ce choix de vie. 

Pour toi, non végane, il prend le temps d'expliquer avec beaucoup de clarté et de bienveillance ce qu'est le véganisme, le problème avec la pêche, l'élevage, les oeufs et le lait, les essais cliniques sur les animaux, mais aussi tous les loisirs qui font appel une exploitation des animaux, il t'explique qu'on peut prendre plusieurs chemins pour réussir à être cohérent-e. T'as même des infos nutritionnelles pour te rassurer si tu te poses des questions sur ta santé.
Pour toi, végane, il t'aide à répondre à toutes les provocations et questionnements sur ton véganisme (chapitre "scènes de la vie quotidienne": une perle, "questions et remarques classiques"), à te rebooster si jamais t'as l'impression de ne plus savoir où tu en es, il te resitue les vrais enjeux de ta lutte et te dit que ce n'est pas grave si tu flanches parfois, car "on n'est pas tous égaux sur le chemin qui mène au véganisme."
Et surtout pour toi, copain ou copine militant-e qui lutte contre les oppressions mais résiste à cette lutte-là parce qu'elle est phagocitée par des fachos et te donne une image négative et superficielle, surtout toi, lis ce livre car c'est aussi le seul bouquin sur le véganisme qui pèse autant ses mots pour ne pas les vider de leur sens politique, qui condamne les réappropriations culturelles et historiques par certains mouvements de protection animale, qui parle de convergence des luttes, qui remet les idées écologistes sur le chemin qui devrait être le leur, qui met en perspective la violence de notre société, sous tous ses aspects (violence sexiste, validiste, raciste, homophobe et violence des humains contre tout ce qui est à leur portée.), qui parle des dominations, de dominants.

Tu l'auras compris, ce bouquin est VRAIMENT pour tout le monde. Certain-es se sentiront encore agressé-es dans leur manière de vivre et termineront toujours la conversation par un bon vieux "Non mais de toute façon, je fais ce que je veux, laisse-moi tranquille avec ton régime."Mais si toi, même sans être végane, tu te poses des questions et t'aimerais mettre un peu les mots sur ce je-ne-sais-quoi que tu sens bien incohérent et problématique, alors lis ce livre. Absolument. Par pitié!

Il n'y a pas énormément de choses à critiquer sur l'aspect proprement littéraire. Pour moi, le sujet suffit à rendre ce bouquin totalement absolument atypique. 
Je te laisse avec des citations qui veulent dire beaucoup, car Martin Page est un magicien des mots qui rend sa clarté à la moindre incertitude. 

"Le véganisme, par son empathie radicale, n'est rien de moins que le  désir d'un changement de civilisation."

"Il faut réfuter ce cliché selon lequel se battre pour les animaux serait un perte pour les êtres humains. Donner des droits, c'est augmenter le champ de la justice, pas le restreindre. Mon combat est contre toutes les oppressions. Par souci de justice et de sollicitude."

"Alors que la maltraitance est la règle, certains petits producteurs disent aimer leurs animaux et ils racontent qu'ils sont tristes de les envoyer à la mort. Pourquoi ne pas les croire? Ils sont les archétypes d'une civilisation dans laquelle il est possible de blesser et tuer et de dire qu'on aime nos victimes.(...) C'est le fondement du malheur de notre espèce et du monde. C'est ce système de pensée l'ennemi. Pour parvenir au démantèlement de toutes les activités carnistes, il n'y a pas d'autre voie que de s'attaquer aux idées et aux représentations."

citation de la chercheuse végane A. Breeze Harper: "Les racines du véganisme ne sont pas élitistes. Si le système alimentaire mondial n'était pas prisonnier de structures capitalistes, impérialistes et néocolonialistes, fondées sur des hiérarchies de pouvoir racisées, alors le véganisme pourrait être une possibilité pour beaucoup de gens qui sont actuellement contraints par une société dans laquelle le classisme et le racisme environnemental règnent."

"Les gens rêvent et fantasment beaucoup à propos du véganisme, en mal et en bien. Je suis toujours gêné quand certains s'y intéressent pour le bénéfice de leur santé. Le véganisme est une lutte de justice sociale. Pas un régime. (...) On n'embrasse pas une cause parce qu'elle est bonne pour soi et les siens mais parce qu'elle est juste."

"L'humour peut être une arme utilisée pour casser le désir des autres, leur désir de changement, de liberté, de contestation. L'humour est parfois un outil au service de l'autorité. il s'agit de vous faire rentrer dans le rang en ayant les rieurs du côté de la majorité. D'ailleurs, on sort les mêmes phrases au véganes qu'aux féministes: "Vous n'avez aucun sens de l'humour."

"Si la grande majorité des véganes sont des femmes, ce n'est pas un hasard: le combat pour la libération animale est un combat contre les patriarcat et contre l'objectivation." (à propos des nombreux mouvements féministes liés au véganisme). "Si l'animalisme se met à ressembler à n'importe quel mouvement social avec à sa tête de hommes blancs, valides, privilégiés et occidentaux, alors le combat est déjà perdu."

"D'une certaine manière, renoncer à tuer les animaux et à les manger, c'est quitter l'humanité telle qu'on l'a connue et s'inventer en nouvelle espèce."

"Je crois que dans une société on ne fait pas ce qu'on veut. Faire ce qu'on veut, c'est la liberté des dominants."

"Si le véganisme déclenche des réactions parfois violentes, c'est normal: ce mouvement politique dérange l'évidence et l'habitude des personnes les mieux intentionnées. Surtout, il donne un nom à la norme. Par nature, la norme ne se pense pas. Tout d'un coup, un groupe dit: "La norme a un nom, nous l'appelons "carnisme"". les majoritaires n'aiment pas être nommés, ils ne supportent pas le dévoilement qui les fait appartenir à la foule oppressive. Alors, ils réagissent violemment. Nommer la norme, c'est dire: "Vos choix n'en sont pas, vous êtes conditionnés par votre éducation et la société." (applicable à toute norme sociale bien sûr.)

"Manger un hamburger équivaut à prendre une douche qui durerait un mois: 2500 litres d'eau sont nécessaires pour la production d'un steack. (...) D'un strict point de vue écologique, la généralisation de l'élevage bio et de petit producteurs causerait bien plus de tort à la planète que l'élevage industriel où les animaux sont parqués, pour la simple raison que l'élevage "éthique" nécessite considérablement plus de place, de ressources, d'énergie. Avec la consommation actuelle de viande, raser toutes les forêts su globe n'y suffirait pas."

 * https://www.revue-ballast.fr/martin-page-animaux-individus/

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